Leggere Proust  >  Note a margine e Appunti di lettura



Marie-Agnès Barathieu

Texte de présentation de l'ouvrage "Les mobiles de Marcel Proust" lors de la remise du prix « La madeleine d’or », Cabourg, 22 novembre 2003


Presentazione del libro in occasione della cerimonia di assegnazione del premio "Madeleine d'Or", Cabourg, 22 novembre 2003

M.me Barathieu  foto


En préambule, puisque 2003 est le centenaire du prix Goncourt et puisque ce prix Goncourt a été attribué à Marcel Proust pour A l'ombre des Jeunes Filles en fleurs en 1919 – le président de jury du Goncourt étant alors Rosny Aîné -, je voudrais rapporter ce qu'a écrit Rosny Aîné précisément à Marcel Proust à propos de cet ouvrage: "vous avez ajouté quelque chose à mon univers humain; depuis longtemps je n'avais fait un si beau voyage."

J'espère simplement et modestement que la lecture des mobiles de Marcel Proust permettra aux uns et aux autres de faire un beau voyage. Je ne peux m'empêcher de rajouter que 2003 est aussi le centenaire du Tour de France, raison de plus peut-être pour souhaiter encore à tout lecteur de ce livre, de ce livre tout en mobile, dont la bicyclette, un beau voyage

Si je devais énumérer les temps forts de mon approche (quelques flashes), à partir de cet angle de vue mobile, voilà ce que je dirais:

- C'est quand, avec la vieille calèche de la duchesse de Guermantes faubourg Saint-Germain, je vois la rêverie féodale s’effondrer et le temps se figer. Car calèche va invariablement avec hôtel et va avec comtesse; de même qu'au Moyen Age: carrosse allait avec château et avec princesse. En villégiature également ; ainsi à Balbec, à quelques pages d’intervalle, je vois " débarquer " l’Ancien et le Nouveau monde. L’Ancien monde avec les vieilles calèches des marquises de Villeparisis et de Cambremer, de la duchesse de Luxembourg, le Nouveau monde avec Albertine et sa bicyclette. Avec la vieille calèche et son piètre attelage, le récit semble avancer, mais à reculons (selon une expression de G. Poulet).

Alors que l'histoire contemporaine offre bien des exemples d'aristocrates modernes, à la pointe du progrès, ainsi la duchesse d'Uzès, qui est yachtwoman, chasseresse, féministe, chauffeuse, et qui à l'âge de 86 ans, un mois avant sa mort, effectue son baptême de l'air sur aéroplane. Ou encore la comtesse Greffulhe un des modèles de la duchesse Oriane de Guermantes (que son arrière petite-fille surnomme "la fée des sciences") comme encore le dernier prince de Wagram, Louis Marie Philippe Alexandre Berthier (défini certes comme un jeune prince amateur d'impressionnistes mais aussi très connu comme jeune prince chauffeur).

Mais le narrateur de l’histoire a écarté cette représentation d'une aristocratie moderne au profit d’une caricature de la ‘décomposition’. Et puis, il y a les nostalgiques de l’Ancien régime. Ainsi Salomon Bloch. Devenu riche héritier il investit dans un château et ne voyage plus qu'en chaise de poste avec des serviteurs en livrée. On ne peut que lui appliquer la formule de Baudelaire dans "Le peintre de la vie moderne " Critique d’art-: " le dandysme est un soleil couchant ".

C'est encore quand je vois débarquer le Nouveau monde avec Albertine et sa bicyclette. Et, tiraillé entre les deux mondes (l'Ancien et le Nouveau), je vois un jeune héros subjugué et par l'un et par l'autre, mais un narrateur adulte qui a choisi sa planète.

C'est aussi quand je vois la grande bourgeoisie (Les Swann, les Verdurin) suivre son temps, et même le devancer. On pense à l'incomparable victoria de Mme Swann, à l'automobile avec chauffeur des Verdurin que ce soit à Paris ou à Balbec.

C'est également quand je vois la modernité mobile insuffler l’art et influencer les artistes. Il a été dit de Giotto, premier peintre de la modernité, à la fin du Moyen Age : " Il a changé l’art de peindre du grec en latin ".

De la même manière on peut dire que Marcel Proust a rompu avec une écriture conventionnelle, notamment par le recours aux ‘mobiles’ dans ses réflexions sur l’œuvre d’art. Pour seul exemple (d'autres sont donnés dans l'ouvrage) l’écrivain Bergotte dont les phrases sont claires comme "les voitures dans la rue", puis le nouvel écrivain pour lequel "les voitures aussi sont des Renoir" (II, 623). Le héros-narrateur est le pilier de cette révolution artistique: pour lui l’automobile opère une véritable rénovation du paysage laquelle entraîne une révolution poétique. Elle fait de lui un créateur d'images, elle lui permet de mieux sentir la " véritable géométrie " de la terre

Tout cela est dit dans la première partie que j'ai intitulée: "des métaphores qui filent", cette première partie qui, telle une revue dont je suis la meneuse, fait défiler les personnages principaux de la Recherche, accompagnés de leurs mobiles, sans oublier les chauffeurs, permettant ainsi de les approcher un à un, de revivre chacune des grandes rencontres du héros-narrateur et également d'appréhender un art nouveau.

Ces personnages, on les voit passer deux fois: la 1ère fois, on regarde, la 2ème fois, on interprète. Comme un feuilleté que la 1ère fois on goûte, que la deuxième fois, on apprécie.

C'est encore quand je découvre que les jeunes filles de Balbec des premiers brouillons (ou avant-textes) étaient en cercle, assises sur une chaise, indifférenciées. Or, celles du texte définitif, publié, sont en mouvement sur la digue de Balbec, guidées par l’une d’elles poussant, devant elle, une bicyclette de la main.

Quand je découvre, en plus, que les ébauches successives d'Albertine étaient plutôt des cavalières. Ce changement de perspective est tout de même significatif. Rappelons que si la connotation de la cycliste féminine de la fin du XIXè est celle de modernité, elle est surtout celle de " troisième sexe " (cette connotation est rappelée en note dans toutes les éditions, références à l'appui).

C'est quand je vois un effet d'écho dans le rapprochement entre la cycliste de Balbec de A l'ombre des jeunes filles en fleurs et l'épigraphe qui précède Sodome et Gomorrhe, (épigraphe, sorte de sous-titre), épigraphe du reste qui est la seule de toute la Recherche et qui commence ainsi : " première apparition des hommes-femmes..." ; or, qu'est-ce qu'une cycliste à la fin du XIXè selon une certaine presse contemporaine ? On l'a dit, c'est " une femme-homme ". Il y a là, entre la première apparition d'Albertine à bicyclette (connotée femme-homme) et le sous-titre de Sodome et Gomorrhe (annonçant les hommes-femmes), comme un effet d'écho ; nous avons là deux déclinaisons de l'inversion et même un jeu sur l'inversion.

C'est quand donc, à force d'indices concomitants (car il y en a bien d'autres), je vois la connotation première d'innocence et de sportivité (pour le récepteur que nous sommes et même pour le récepteur de 1919) céder progressivement le pas à celle de "femme-homme" (qui est la connotation du temps de l'histoire). Je soupçonne alors cet objet d'être mis entre les mains d'Albertine par le narrateur pour dire l’homosexualité.

Avec une telle icône, on a bien Gomorrhe avant Sodome. Mais la bicyclette permet également en de multiples points (la machine, la roue, la tenue vestimentaire), le rappel du mécanicien de Cabourg, puis du secrétaire parisien et enfin de l'élève-pilote. C'est donc quand je vois peu à peu se superposer à la fille-sur-roue (ainsi que l'a appelée un critique), un garçon-sur-roue (pour reprendre son expression) qui n'est autre que le chauffeur Agostinelli dernier amour de Marcel Proust.

C'est encore quand je vois, m'appuyant aussi sur la critique proustienne sous les traits de Servois, le bicycliste de Jean Santeuil, pointer peut-être Jacques Bizet, premier amour de Marcel Proust.

Ainsi le cycle fin de siècle serait le symbole à la fois de Sodome (avec le bicycliste de Jean Santeuil) et de Gomorrhe (avec la cycliste de Balbec) et il réfèrerait en même temps aux deux figures masculines désirées par l'homme Proust : le premier grand amour Jacques Bizet et le dernier grand amour Alfred Agostinelli.

Tout cela est principalement dit dans la deuxième partie que j'ai intitulée : "le cycle d'Albertine et de Jean". Cette deuxième partie raconte l'histoire de deux rencontres, celle du héros-narrateur avec Albertine, celle de Jean Santeuil avec Servois mais aussi débusque, dans cette histoire, le rôle implicite de la monture.

Le cycliste et la bicycliste, on les voit passer deux fois : la première fois, on regarde, la deuxième fois on interprète. Comme un feuilleté que la 1 ère fois, on goûte, puis que l'on apprécie.

C'est aussi quand je vois la Zéphora de Botticelli (qui n'est autre que la dame en rose) sublimée par Charles Swann, se métamorphoser, en Odette palpable, en chair et en os, dans l’espace intime d’une voiture en mouvement, voiture foyer de la célèbre métaphore : "faire catleya " ; c'est après, qu'elle deviendra Mme Odette Swann.

Et c'est enfin, très très grands moments, quand, dans une première voiture, "la carriole du docteur Percepied " je vois naître un écrivain : c’est à la vue des trois clochers, de Martinville et de Vieuxvicq : leurs lignes libérées, devenues mobiles, tracent les lignes d’écriture métaphorique.

Quand, dans la seconde voiture, "la calèche de Mme de Villeparisis", je vois naître un chercheur : c’est dans la descente d’Hudimesnil : trois arbres, comme trois points d’interrogation vibrants, indiquent la voie à suivre; quand, dans une troisième voiture "dans cette troisième voiture" écrit le narrateur, juste après le dîner Guermantes (et avant la visite du baron), je vois mourir un mondain : il ne sera pas une pythonisse mais un créateur.

Quand, à la descente d’une quatrième voiture (ou peu après), je vois naître le romancier de la Recherche : c’est après une promenade en voiture et dans ses souvenirs et après deux rencontres qui le ramènent encore au passé : il heurte un pavé dans l’hôtel de l’avenue du Bois (où il est invité pour la matinée Guermantes) et tout s’enchaîne ; le dandy est enfin cet écrivain qu’il rêva d’être, qu’il douta d’être, et qui, de déplacement en déplacement trouva sa vocation: narrer sa recherche du temps.

Tout cela est dit dans la troisième partie que j'ai intitulée "Mû et ému" qui permet d'approcher la genèse de l'écriture de la Recherche du Temps perdu de manière dynamique et de relier motion et émotion.

Le héros-narrateur en voiture, Odette et Swann en voiture, on les voit passer deux fois: la 1ère fois, on regarde, la 2ème fois on interprète. Toujours comme un feuilleté, car, chaque partie - tel un feuilleté -, se dédouble à chaque fois en deux chapitres.

Bien sûr une large part est donnée à l'interprétation. Je rappelle que dans le Temps retrouvé, Marcel Proust encourage le lecteur à la création : "le lecteur a besoin de lire d'une certaine façon pour bien lire ; l'auteur n'a pas à s'en offenser mais au contraire à laisser la plus grande liberté au lecteur."


immagineI miei appunti di lettura sul libro di M.A. Barathieu


fiori


Note a margine

Torna all'indice

Torna alla pagina principale



Pagine realizzate da Gabriella Alù
1998